Georges-Emmanuel Clancier - Vocabulaire
Quand je dis myrtille c'est l'ombre odorante des amours
Quand je dis collines le langage oublié de l'enfance
Quand je dis bleu le double regard de mon sang
De mon nom qui colore hier aux couleurs de demain.
Quand je dis noisette je vois Juliette et ses dix ans
Mais le cœur connaît-il des raisons pour rêver ?
Je vois encore une bergère de dix ans
Au fond des prés, il y a longtemps, la vieille femme
Que je vénère comme la vie et qui garde ses morts
Doucement telles autrefois ses peureuses brebis.
Quand je dis couleuvre ô charmeurs d'oiseaux et d'orvets
Mes aïeux espiègles ouvriers de la révolution
Me font clin d'œil de malice au-delà des tombes.
Quand je dis pain c'est père plus généreux et vif
Que blés dans leur gloire couronnés par le vent
Mer c'est la mère blonde et bleue comme les plages
La vague qui berce et s'endort et secoue ses cheveux.
Quand je dis arbre mon fils tendre feuillage étincelle
Sylvestre printemps qui ruisselle sur les pierres,
Quand je dis nuit celle que j'aime monte vers moi
Du fond des songes femme de nuit et de songe.
Georges-Emmannuel Clancier ("Une Voix" 1957)
Georges-Emmanuel Clancier : c'est un poète qui aura 100 ans le 3 mai prochain que je redécouvre en ce moment.
Je me suis arrêtée cette après-midi sur cette poésie-là, ou plus justement : c'est elle qui m'a retenue ! Oui, retenue, happée, conquise, elle interpelle tous mes sens, bouleverse le Temps, me parle de moi en même temps que de lui -car n'est-ce pas nos propres enfants qui apparaissent miraculeusement derrière sa Juliette et son Sylvestre ?