J'écrivais
J'avais mon antre en presque sous-sol, un peu à l'écart du reste de la maison. Ce n'était pas vraiment un sous-sol, non, il y avait une petite fenêtre en hauteur qui donnait sur le trottoir qui longe la place, me laissant entrevoir les pieds des passants et c'est à peu près tout. Entrevoir et entendre. Entendre les talons frapper le sol dès le petit matin. Quand j'y pense, je les entends encore. Dans cette chambre, j'avais ma petite table ovale, tout un monde.
Entre ma treizième et ma vingt-et-unième année, tout mon temps libre je le passais là, soit à lire soit à écrire dans le secret, au rythme du claquement des talons du monde. Vous pensez que j'exagère ? Vrai, j'exagère un tout petit peu ma vie dans ma tour d'ivoire à l'envers. Je passais donc mon temps libre là, à écrire des pages et des pages, blocs après carnets, cahiers après carnets. Des anecdotes du quotidien, mais surtout mes humeurs des jours. J'y disais toutes les écorchures de ma jeune vie. Des carnets comme autant de défouloirs, autant de confidents de mes turbulences intérieures. J'étais mal, et mes cahiers étaient là pour que je le dise, moi, la jeune fille si sage.
Un jour j'ai été mieux. Quelques années étaient passées, et je n'écrivais presque plus. J'en avais moins le temps, et sûrement que j'en éprouvais moins l'impérieuse nécessité. J'ai relu, j'ai dit tout est mêlé, tout est vrai et tout est faux là-dedans, c'est moi et c'est pas moi, c'est le moi de tous les possibles, de toutes les exagérations, et c'est pourtant vrai, sauf que.... seule moi peut comprendre. Faut tout brûler.
J'ai fait un tri sommaire, j'ai gardé ce que j'estimais être le meilleur et j'ai brûlé le reste, sans regrets.
Aujourd'hui, c'est trente ans qui ont passé. De regret je n'en ai pas davantage. Ces années d'introspection m'avaient aidé à grandir, mais il fallait tourner la page, et mettre le nez dehors, au vent du vaste monde. De regret, j'en ai un seul. Celui de la facilité que j'avais alors à écrire. Autant que je m'en souvienne, je n'éprouvais aucune sorte d'inquiétude face à la page blanche : les mots coulaient rapides au rythme de ma pensée.